Adoptions interspécifiques et intelligences partagées
Cinq chimpanzés en famille
A partir de cinq cas d'adoption de jeunes femelles chimpanzés (Meshie, Gua, Viki, Pépée et Lucy) par des humains, à partir des années 1930, je propose d'explorer une facette particulière de l'intelligence des grands singes, celle liée à leur flexibilité comportementale, à la souplesse de leurs habitudes et à leur degré d'adaptabilité. Lors de ces cohabitations marquées par l'établissement de liens extrêmement forts entre humains et singes, ces femelles chimpanzés s'approprièrent, en effet, des habitudes, des techniques, des savoirs, des savoir-faire humains, tout comme elles développèrent certaines capacités cognitives, à un degré auquel nous ne nous attendions pas. Elles ne s'arrêtèrent pas là : elles ont également intégré en profondeur certains linéaments de l'"ethos", de la "manière-d'être-au-monde", de ceux qui les adoptèrent, allant, pour certaines, jusqu'à "se prendre pour des humaines". Ces différents cas d'intégration de primates dans des familles constituent des témoignages exceptionnels pour comprendre la singularité des relations entre humains et grands singes, la question des "devenirs" au sens thématisé par Gilles Deleuze et Félix Guattari, celle de la plasticité du vivant marquée par des orientations propres aux espèces et aux individus, ainsi que pour remettre en cause la pertinence de l'idée de frontière entre humanité et animalité.