Chris Herzfeld

De la Domestication des Primates

In J.-P. Engélibert, L. Campos, C. Coquio et G. Chapouthier

La Question Animale

Entre science, littérature et philosophie

Chapitre III, pp. 53-75

Poitiers

Presses Universitaires de Rennes/Mendès France

2011

S’appuyant sur divers travaux de terrain avec bonobos, chimpanzés, gorilles et orangs-outans, ainsi que sur des enquêtes menées auprès de ceux qui les côtoient, cet article est consacré aux primates anthropoïdes qui vivent en étroite proximité avec les humains dans les zoos, chez des privés ou dans les laboratoires d’apprentissage du langage. En ces dispositifs qui leur ouvrent une large gamme de possibilités inédites, les anthropoïdes s’approprient, selon leurs modalités propres, certains comportements, habitudes, compétences cognitives et savoir-faire humains. Ces « vivre-ensemble » ont une autre conséquence remarquable : l’intériorisation d’une part d’ethos humain par les grands singes. A travers ce « devenir-humain » des primates, s’expriment un monde commun, une communauté essentielle, perceptibles de manière plus subtile encore dans le sens esthétique et dans la Funktionslust manifestés par les grands singes (la Funktionslust étant le « plaisir de la fonction », le plaisir de faire ce que l’on sait bien faire). Egalement nourrie par la littérature scientifique, les ouvrages populaires et les savoirs non universitaires, dits « profanes » (par exemple ceux des techniciens animaliers des parcs zoologiques), cette approche remet en question la rigidité d’une série de dichotomies fondatrices qui structurent tout le discours occidental en sa tradition dominante : humanité versus animalité, domestique versus sauvage, nature versus culture.