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Bêtes & Hommes
Catalogue de l’exposition
Parc de la Villette
Gallimard
Paris
2007
« Les relations des humains aux animaux, thème de cette grande exposition de réouverture de la Halle, sont aujourd’hui une question de société de première importance.
Les artistes l’ont bien compris, qui, de plus en plus nombreux questionnent le monde du vivant exprimant peut-être par là, l’inquiétude sourde des humains sur sa pérennité et sur les limites de leur rêve prométhéen. »
Jacques Martial, Président du Parc de la Villette
Les illustrations de ce livre, œuvres de plasticiens, photographes et vidéastes, témoignent des multiples manières qu’ont les artistes contemporains d’entrer en relation avec les animaux.
Voir l’article de C. Herzfeld, « Pourquoi les nœuds de Wattana nous intéressent-ils tant ? », Bêtes & Hommes, Parc de la Villette, Paris, Gallimard, 2007
C. Herzfeld, « Pourquoi les nœuds de Wattana nous intéressent-ils tant ? »
Bêtes & Hommes
Parc de la Villette
Gallimard
Paris
2007
Avant de nous intéresser, les nœuds des grands singes nous ont d’abord étonnés. La littérature scientifique affirme qu’ils ne savent pas faire de nœuds là où les soigneurs de primates soutiennent le contraire : ils nous apprennent que certains des animaux dont ils s’occupent pratiquent le nouage. Peut-être ne parlent-ils pas des mêmes singes que les chercheurs ? Nous n’aurons alors de cesse de découvrir le fin mot de l’histoire, notamment, en donnant aux primates réputés « noueurs », le matériel nécessaire à cette activité. Quel ne fut pas alors notre étonnement en découvrant que Wattana, jeune orang-outang de la ménagerie du Jardin des Plantes, était capable de nouer, d’assembler ou d’entremêler tous les matériaux que nous lui avions proposés : fils, lacets, papier, tronçons de tuyau d’arrosage, liens de laine et autres ficelles. Cependant il ne s’agit effectivement pas du même type de singe que celui étudié par la plupart des primatologues : les singes noueurs sont décidément trop proches des hommes et l’on a, en effet, jamais observé un primate anthropoïde vivant en milieu « naturel », en train de faire des nœuds. Or ce qui nous intéresse ici ce sont justement les grands singes qui, partageant leur monde avec les humains, tissent des liens avec eux et désirent partager certaines de leurs compétences. En sont-ils, pour autant, moins des « grands singes » que les autres ? Certainement pas. Ils manifestent au contraire une des qualités essentielles des primates anthropoïdes : la flexibilité. On met souvent en avant leur caractère « sauvage » alors qu’ils semblent parfaitement à l’aise lorsqu’il s’agit de puiser dans les possibilités ouvertes par les hommes qui les entourent. Mais comment parviennent-ils donc à devenir familiers de techniques manipulatoires compliquées qui demandent plusieurs mois d’apprentissage aux petits humains ? Malgré leur réputation, les primates ne se contentent pas d’imiter « bêtement » les humains, ils s’approprient plutôt un projet, semblant vouloir en faire autant que les humains qu’ils côtoient. Ainsi, quelques singes, après de longs moments d’intense observation de nos gestes, les expérimentent, se les réapproprient et « incorporent » une suite de mouvements dont l’un appelle le suivant, et qui les mènera un jour au nœud. A mesure de l’amélioration de leur compétence par la pratique répétée, ils développent un goût de plus en plus prononcé pour le nouage. Lorsque nous observons Wattana, nous sommes ébahis par sa virtuosité : elle réalise les nœuds à sa manière, avec les mains, les pieds et la bouche. Il ne s’agit pas d’un simple savoir-faire : la compétence est devenue à la fois talent et savoir d’expert. Toute « à son affaire », elle enchaîne rythmiquement les gestes avec une détermination inattendue, comme animée d’un objectif qu’elle est la seule à connaître, se concentrant pendant de longs moments, bien au-delà de la capacité de concentration que nous imaginions pour un « non-humain ». Elle n’est pas la seule. Dans différents zoos, sanctuaires et centres de recherche, une vingtaine d’individus, bonobos, chimpanzés, orangs-outans, font des nœuds et ce sont les soigneurs qui, les premiers, nous l’ont révélé. Gérard Dousseau, chef-soigneur à la ménagerie du Jardin des Plantes, connaît certains orangs-outans depuis plus de trente-cinq ans. Lorsque Wattana est arrivée à la ménagerie, il entrait dans son enclos afin de la rassurer et de l’habituer à sa présence. Il a alors remarqué que la jeune primate regardait de très près ses gestes quand il refaisait ses lacets. Il a même pensé un moment qu’elle était myope mais a constaté ensuite qu’elle réussissait à faire des nœuds. Côtoyer les grands singes au quotidien et à long terme permet aux soigneurs d’observer des comportements qui ont longtemps échappé à d’autres : nouage, crochetage de serrures, fruits réduits en purée sur les parois des cages, démontages en tout genre, fort intérêt pour d’autres espèces…
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